La transition mondiale vers un système énergétique hors du fossile nécessite un changement de paradigme (Partie 1)

La transition mondiale vers un système énergétique hors du fossile nécessite un changement de paradigme (Partie 1)

La 28ème Conférence des Parties sur le Changement Climatique (COP28) s’est achevée le 13 décembre 2023 par un accord consensuel, un appel à une transition mondiale hors du fossile. Ce résultat a été qualifié d’historique par différents acteurs. Mais à y regarder de près, cet accord n’a aucune force juridique obligatoire et ne précise ni la manière dont la transition serait organisée, ni l’échéance de son aboutissement.

En réalité, le consensus se trouve uniquement dans la circonvolution de la formule, une sorte de compromis magique entre d’une part, les pays à économies avancées qui plaidaient pour la fin du fossile, et d’autre part, les Etats producteurs d’hydrocarbures qui s’y refusaient.

Il s’agit donc, avant tout, d’une formule exempte d’obligation juridique mais qui pourrait servir d’étape à des accords futurs plus engageants. Chaque pays est invité à déposer au plus tard en 2025, ses mesures volontaires pour l’échéance 2035, en vue d’atteindre l’objectif de 1,5 degrés Celsius. D’autres appels de la COP28 concernent le triplement des capacités des énergies renouvelables, le doublement de l’efficacité énergétique et la réduction substantielle des émissions de méthane par rapport à l’état actuel. 118 Etats se sont déjà engagés à atteindre le triplement des capacités de renouvelables.

Au-delà de l’euphorie médiatique soulevée par les conclusions de la COP28, une réflexion s’impose sur leurs implications.  Dans la présente chronique inspirée de la leçon d’honneur que j’ai donnée  à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne le 14 mars 2023, je dirige cette réflexion sur les réponses à la question suivante :

La fin des énergies fossiles uniquement dans les pays occidentaux est-elle favorable à l’objectif de la neutralité climatique à l’horizon 2050 ?

Je pars de l’hypothèse forte que l’ensemble des parties sont convaincues de l’effectivité des conclusions de la COP28. Existe-t-il, pour autant, des goulets d’étranglement susceptibles de nuire à la concrétisation de ces conclusions ?

La COP28 a vu s’affronter les pays occidentaux, en particulier l’Union Européenne et les Etats-Unis d’une part, et, d’autre part, les Etats membres de l’Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP). Les premiers poussaient à ce que les participants s’engagent à en finir avec le fossile.  Cette perspective n’est évidemment pas idéale pour les pays qui tirent du pétrole et du gaz naturel  l’essentiel de leurs revenus. Le grand silence de la Chine et de l’Inde, deux gros consommateurs d’énergies fossiles et en particulier de charbon est symptomatique des difficultés attendues dans la suite de l’histoire.

Les Etats-Unis devenus, par ailleurs, un des premiers producteurs mondiaux de pétrole, ont aussi vu leur rôle sur le marché gazier croitre considérablement avec les sanctions européennes contre le gaz russe. Le recours accru au gaz naturel liquéfié américain par les pays européens crée un contexte international nouveau dans le camp des partisans de la fin du fossile.

Un deuxième facteur d’instabilité dans ce camp est la sensibilité du Parti Républicain aux Etats-Unis, très proche des  producteurs de pétrole et de gaz américains. L’alternance politique à la Maison Blanche, susceptible d’intervenir à chaque élection présidentielle aux Etats-Unis, donc tous les quatre ans, à partir de 2024, constitue un facteur de vulnérabilité dans le maintien de la volonté des pays occidentaux de sortir du fossile.  Du reste, il n’est pas certain que même le parti Démocrate soit capable de passer de la volonté aux actes, étant donné la difficulté d’obtenir le consentement politique à la fois du Sénat et de la Chambre des Représentants.

 Toujours dans ce même camp, l’Europe compte sur l’électrification de son système énergétique pour se passer du fossile qui représente actuellement plus de 70% de sa consommation d’énergie primaire. La promotion de l’énergie nucléaire comme une des options pour lutter contre le réchauffement climatique constitue un élément stratégique essentiel à côté du développement des capacités de  renouvelables.

Cependant, malgré les succès remportés par le Président Français Emmanuel Macron auprès de l’Union Européenne d’une part. et de la COP28 d’autre part, l’option nucléaire reste politiquement vulnérable. L’Allemagne, le plus gros consommateur d’énergie de l’Union européenne est sortie du nucléaire. Les écologistes européens ne sont, par ailleurs, pas favorables à cette technologie. On n’est pas à l’abri de défaillances technologiques majeures dont l’occurrence serait d’autant plus plausible que la capacité du parc nucléaire augmenterait. L’acceptabilité sociale du nucléaire baisserait alors dramatiquement comme ce fut le cas après l’accident de Fukushima.

Quant à la production d’électricité à partir des énergies renouvelables, si l’éolien offshore présente un certain potentiel, sa prolifération n’est pas exempte d’impact environnemental négatif. Quant au solaire, son développement massif, dans des pays à climat tempéré, nécessite l’accroissement concomitant des capacités de batteries. Or, la Chine est le premier producteur mondial aussi bien des panneaux solaires photovoltaïques que des batteries.  

L’Occident devra donc assumer sa dépendance à la Chine pour une partie importante de son approvisionnement énergétique. Encore faudrait-il que le bilan de ces technologies fabriquées en Chine soit décarbonné, ce qui n’est nullement garanti. Mais il resterait encore pour l’Europe l’option de développer sa propre industrie de technologie solaire à l’abri de taxes élevées aux frontières. Un tel protectionnisme créerait, de fait, les conditions d’une scission du monde entre deux blocs : l’Occident et le Sud global. Enfin, dans tous les cas, l’Europe reste fortement dépendante de l’extérieur pour son approvisionnement en lithium.

Les BRICS, en particulier la Chine et l’Inde sont et resteront, au cours des prochaines décennies, le moteur de la croissance économique mondiale. Par ailleurs, la Chine est déjà la première économie mondiale par son produit intérieur brut. Ce groupe de pays sera responsable de l’essentiel de la croissance des émissions de gaz à effet de serre à l’avenir. Or, même si la Chine se distingue comme le pays le plus dynamique pour la croissance des capacités de renouvelables, sa forte demande énergétique la rend largement dépendante des énergies fossiles. La Chine envisage d’atteindre la neutralité climatique vers 2060 et l’inde en 2070. Rien ne permet, cependant, de se fier à ces échéances, tant la priorité pour ces pays est l’amélioration des conditions de vie matérielles de leurs nombreuses populations.

De manière générale, si l’Europe arrive à se passer du fossile avant 2050, le monde continuera vraisemblablement à produire et consommer des énergies fossiles car rien ne l’empêchera. Les flux du commerce international des  hydrocarbures se dirigeraient principalement vers l’Asie où, à la Chine et à l’Inde, s’ajouteraient le Japon et des pays de l’Asie du Sud-Est. Il est réaliste de penser  que la croissance  de la demande d’énergies fossiles de ces pays dépendrait essentiellement des prix  de ces énergies.

Deux facteurs pourraient jouer en faveur du maintien des prix des énergies fossiles à  un niveau modéré, du moins dans un premier temps. La sortie du fossile de l’Europe et, par extraordinaire, des Etats-Unis, réduirait dans un premier temps la demande mondiale et, à production mondiale égale, contribuerait à réduire les prix. En l’absence d’une politique volontariste des BRICS pour réduire leur consommation d’énergies fossiles, leur demande de ces énergies pourrait même croître et compenser la sortie des pays occidentaux.

Le deuxième facteur est connu sous les termes de « paradoxe vert ». A moyen terme, si les producteurs d’hydrocarbures sont convaincus que le Monde s’achemine vers la sortie du fossile, ils auront tendance à augmenter à court terme leur production et amplifieront involontairement la tendance à la baisse des prix sur le marché international, ce qui favorisera l’augmentation de la demande. Si en jouant des effets de cartel, ils parviennent à maintenir les prix du fossile à un niveau suffisamment bas pour encourager la consommation et décourager la production américaine issue des schistes bitumineux, mais à un niveau plus élevé que le seuil économique de développement des nouveaux gisements conventionnels, ils pourront prolonger, le plus longtemps possible l’ère du fossile. Ainsi, paradoxalement, la sortie du fossile d’une partie du monde n’aura  servi à rien, bien au contraire.

Le non-spécialiste des questions énergétiques serait déconcerté par la tournure de mes réflexions et leurs conclusions sur les conséquences de la détermination vertueuse des pays occidentaux à sortir du fossile. Je rassure le néophyte. Les autorités de près de deux cents pays du monde n’ignorent rien sur les insuffisances des résultats des COP successives. Nous sommes face à une difficulté méthodologique fondamentale. Le changement climatique est un phénomène global. Les stratégies d’atténuation devraient dépendre d’une régulation mondiale qui, malheureusement, reste inexistante à ce jour. Même si des stratégies mondiales avaient existé, les contributions volontaires des parties à leur réalisation auraient été ineffectives car incapables d’une convergence spontanée sans une coordination globale forte et contraignante.

Par le caractère autocentré de son approche pour un problème de nature globale, l’Occident se retrouve dans une impasse dans laquelle elle entraîne le monde. La recherche d’une solution appropriée passe par un changement radical de paradigme. Outre le renforcement des  actions qui relèvent de la sobriété dans les pays à forte intensité énergétique, il devrait s’agir, d’une part, de mutualiser une politique mondiale de l’offre énergétique, en soutenant massivement les options alternatives, de manière à leur permettre d’être plus compétitives que l’offre d’hydrocarbures.  

Une stratégie Hydrogène qui inclurait fortement la décarbonation systématique des hydrocarbures couplée au stockage de carbone est un exemple d’un tel changement de paradigme.  Elle impliquerait des mutations profondes dans toute la chaîne de valeurs énergétique.

 D’autre part, les pays producteurs d’énergies fossiles devront bénéficier d’une compensation de leurs pertes s’ils consentent à maintenir sous terre leurs ressources fossiles  non exploitées à ce jour.

Le financement d’une telle stratégie devrait provenir d’un fonds  alimenté par une fiscalité mondiale sur les revenus élevés dans tous les pays.  Ce mécanisme repose sur une morale connue sous le terme de conséquentialisme. D’une part, pour mettre en œuvre cette stratégie, d’importantes ressources financières sont nécessaires. D’autre part, il faut éviter tout  impact négatif sur le pouvoir d’achat des classes moyennes.

Enfin, les personnes à revenus élevés, de par le monde, sont les principaux contemporains bénéficiaires des contreparties positives des émissions historiques de gaz à effet de serre  issues des énergies  fossiles. Faire contribuer les hauts revenus de tous les pays du monde évite de tomber dans le piège du dialogue de sourds entre les pays occidentaux et le Sud global, sur le lien entre les responsabilités historiques et le financement des actions d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.

Le paradigme ainsi ébauché relève d’une transition globalement administrée au plan mondial. Son adoption exigerait de relever un grand défi, à savoir, trouver le modèle d’administration qui minimise les frictions entre les groupes d’intérêts, les coûts de transactions, évite la corruption et les conflits d’intérêts. Mais la nécessité d’un sursaut idéologique serait un défi encore plus grand : il s’agirait de remplacer les mesures volontaires, confortables pour chacun des Etats, par des mécanismes concertés mais à effets contraignants dans un contexte où le multilatéralisme plie sous les coups de bottes des plus puissants.

L’Agenda 40-45 inscrit sa vision de l’Afrique de l’Ouest dans un environnement mondial dont la complexité est assumée. De ce fait, il échappe aux particularismes qui caractérisent les visions développées de par le monde. L’Afrique, plus particulièrement l’Afrique de l’Ouest n’est pas un hors-monde.  La chronique de la semaine prochaine répondra à la question suivante :

Quelle vision énergétique pour l’Afrique de l’Ouest dans un monde soumis aux compulsions du fossile ?

Edgard Gnansounou

Edgard Gnansounou préside le Mouvement des Fédéralistes Sahélo-Guinéens, une association internationale qui promeut la fédéralisation des Etats de l’Afrique de l’Ouest.