Démocratie et Etat de droit en Afrique de l’Ouest : péril ou sursaut ?
Edgard Gnansounou
Retour sur les faits
Au Sénégal, le 15 février 2024, le Conseil Constitutionnel (CC) a donné une leçon à l’ensemble des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Il a invalidé la loi constitutionnelle votée par l’Assemblée nationale (AN). Cette loi reportait l’élection présidentielle au 15 décembre 2024 rallongeant, par la même occasion, le mandat du Président Macky Sall de 9 mois. Dès lors, le décret pris par ce dernier le 3 février 2024 abrogeant celui par lequel il convoquait le corps électoral au scrutin du 25 février 2024, perdait son fondement juridique et devenait illégal. Le CC demandait alors au gouvernement d’organiser l’élection dans les « meilleurs délais ».
Cette décision était d’autant plus courageuse que le CC aurait pu se déclarer incompétent, compte tenu de ce que la représentation nationale avait, au nom du peuple souverain, voté cette loi constitutionnelle à la majorité qualifiée. Certains partisans du Président Macky Sall avaient vite fait de déplorer une dérive vers le « gouvernement des juges ». Comment comprendre que les sages du CC nommés par le Président de la République aient pu affirmer leur indépendance dans un contexte critique où ce dernier était à la manœuvre ?
Le CC justifiait sa décision par l’intangibilité de la durée du mandat présidentiel qui ne peut donc pas faire l’objet de dérogation par une loi constitutionnelle. La décision du CC avait une forte cohérence dans le temps. En 2016 déjà, le Président avait pris l’initiative d’une réduction de la durée du mandat présidentiel de deux ans et quand il voulut l’appliquer, de manière rétroactive, au mandat en cours, le CC s’y était opposée. On ne change pas la durée d’un mandat en cours, ni en l’écourtant ni en l’allongeant.
Le rôle joué par le CC au Sénégal a permis d’éviter une catastrophe dont le principal fauteur était le Président de la République, pourtant gardien des institutions. Sans son consentement, sa majorité à l’AN n’aurait ni initié, ni voté la loi sur laquelle son décret de report des élections s’était adossé. Ses atermoiements pour fixer une date de l’élection conforme à l’esprit de la décision du CC annonçaient le chaos. N’eût été le courage des membres du CC pourtant soumis à de fortes pressions politiques le Sénégal aurait plongé dans une mésaventure obscure.
Au Bénin, la Cour Constitutionnelle a manqué l’occasion de se hisser à la hauteur de son homologue sénégalais. En effet, il se contenta de valider une loi électorale dont la constitutionnalité de l’un des articles les plus importants a pourtant été contestée par le Professeur Théodore HOLO un de ses anciens présidents qui se référait à la jurisprudence de la cour. La décision de la Cour constitutionnelle du Bénin fondée essentiellement sur la procédure est passée à côté de l’essentiel, le risque de déposséder le peuple souverain de sa liberté de choisir ses élus.
On voit bien que l’Etat de droit et la démocratie entretiennent une relation complexe qui ne peut se limiter à l’appréciation de la conformité des lois aux procédures mais doit inclure le respect de l’esprit de la Constitution et des droits fondamentaux de la personne humaine.
Etat de droit versus démocratie
La démocratie est souvent définie de manière simpliste comme la loi de la majorité. Pourtant ce 6 février 2024 l’AN sénégalaise avait pris la décision, à la majorité qualifiée, de reporter le premier tour de l’élection présidentielle au 15 décembre 2024, contre la minorité qui s’y était opposée en arguant vainement de l’inconstitutionnalité de cette décision. Le CC avait donc donné raison à la minorité du parlement en invalidant cette loi. Pourrait-on pour autant affirmer que la décision du CC qui relève de l’Etat de droit, était antidémocratique ?
En fait, l’Etat de droit est le complément indispensable de toute démocratie libérale. Il consiste en un ensemble de principes qui assurent que nul n’est au-dessus de la loi. Il s’applique aussi bien aux citoyens qu’aux institutions. Il est régi par les quatre grands principes suivants : (1) la responsabilité du citoyen et des institutions ; (2) le caractère juste de la loi qui doit garantir entre autres, les droits fondamentaux de la personne humaine ; (3) le caractère ouvert et transparent du cycle de vie de la loi, de sa préparation à son application, en passant par son adoption et sa promulgation; (4) l’impartialité du système judiciaire et l’accessibilité de la justice au justiciable.
Le respect de l’Etat de droit est le principe cadre dans lequel s’exerce la démocratie libérale. Ce cadre peut évoluer selon des procédures bien précises. Ni la majorité des citoyens, ni le Gouvernement et son Chef ne peuvent déroger à ce principe qui relève de normes libérales internationales.
L’Etat de droit est souvent brandi par le Gouvernement pour justifier l’emploi de la force légitime et maintenir l’ordre. Mais le citoyen s’y réfère aussi pour défendre ses droits en cas de présomption d’abus d’autorité commis notamment par les pouvoirs publics.
Depuis plusieurs années, un nombre croissant de pays sont évalués de manière comparative par le World Justice project sur la base des huit indicateurs suivants : (1) les limites aux pouvoirs de l’administration ; (2) l’absence de corruption ; (3) la transparence de l’État ; (4) les droits fondamentaux de la personne humaine ; (5) l’ordre et la sécurité ; (6) l’application de la réglementation ; (7) la justice civile et (8) la justice pénale.
Classement des pays de l’Afrique de l’Ouest selon l’indice de l’Etat de droit
Selon l’édition 2023 du Rapport sur l’Etat de droit, en Afrique de l’Ouest le Sénégal apparaît à la première place à égalité avec le Ghana, et le Mali à la 13è place précédé de peu par le Nigéria et la Guinée. Le Cap Vert et la Guinée-Bissau ne font pas partie du classement. Le tableau ci-dessous donne, pour chacun des 13 pays classés, la valeur de l’indice, le rang en Afrique de l’Ouest et le rang mondial sur 139 pays.
Pays | Indice 2023 | Rang régional | Rang mondial |
Sénégal | 0,55 | 1 | 60 |
Ghana | 0,55 | 2 | 61 |
Gambie | 0,49 | 3 | 85 |
Bénin | 0,48 | 4 | 90 |
Burkina Faso | 0,47 | 5 | 95 |
Togo | 0,45 | 6 | 102 |
Côte d’Ivoire | 0,45 | 7 | 106 |
Niger | 0,44 | 8 | 109 |
Sierra Leone | 0,44 | 9 | 110 |
Libéria | 0,44 | 10 | 112 |
Guinée | 0,41 | 11 | 118 |
Nigéria | 0,41 | 12 | 120 |
Mali | 0,40 | 13 | 121 |
Classement des pays de l’Afrique de l’Ouest en 2023
Quatre groupes se dégagent de ce classement : 1. (Sénégal, Ghana) ; 2. (Gambie, Bénin, Burkina Faso) ; 3. (Togo, Côte d’Ivoire, Niger, Sierra Léone, Libéria) ; 4. (Guinée, Nigéria, Mali). Ce regroupement est de nature à changer profondément au cours des prochaines années.
Péril de la Démocratie et de l’Etat de droit
On a assisté en 2024 à une controverse sur « la Démocratie et l’Etat de droit », concrétisée par le départ en cours du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la CEDEAO et l’instauration dans ces trois pays de gouvernements d’exception sur la base des justifications suivantes :
1) Dans un contexte où l’intégrité territoriale de la nation et la sécurité des citoyens sont menacées, l’exercice du pouvoir politique par l’armée, la suspension de certaines institutions démocratiques et de certains droits fondamentaux sont une exigence impérative pour la survie et le bon fonctionnement de l’Etat.
2) La démocratie libérale dans nos pays est souvent manipulée par des puissances extérieures qui veillent à la sélection de dirigeants godillots. Dans un tel contexte, des militaires patriotes et militants sont légitimes pour défendre la souveraineté nationale et les intérêts supérieurs du peuple.
3) Dans des pays où les besoins sociaux de la majorité de la population ne sont pas satisfaits et où la Démocratie et l’Etat de droit sont au service d’une minorité, un régime d’exception cherchant à défendre les intérêts des populations les plus démunies est légitime de par son intention révolutionnaire d’instaurer de manière durable la justice sociale.
4) Les défenseurs de la Démocratie et de l’Etat de droit sont au service de valeurs occidentales et sont peu sensibles aux souffrances de la majorité de la population.
5) Les puissances occidentales se posent en donneuses de leçons et soutiennent les défenseurs de la Démocratie et de l’Etat de droit parce que ces derniers sont davantage à leur service.
Ces justifications clamées par les partisans des régimes d’exception en Afrique de l’Ouest instaurent une rupture de fait avec les normes libérales internationales de la bonne gouvernance et devraient être publiquement débattues de manière contradictoire, en particulier, en relation avec les principes d’égalité entre les citoyens, de souveraineté du peuple, de respect des droits fondamentaux de la personne humaine et aussi d’efficacité au regard des équilibres géopolitiques mondiaux et régionaux qui déterminent le financement du développement économique dans nos pays.
En effet, en absence d’une feuille de route bien réfléchie et validée par le peuple, le risque du « cavalier seul chevauchant à vue » est grand. La conséquence d’une telle posture est une souffrance injuste infligée aux couches sociales les plus démunies et une dégradation générale du fonctionnement des services publics du fait d’une gestion financière et administrative peu orthodoxe.
Indépendamment des modes d’accession au pouvoir, les dirigeants des pays africains subsahariens sont confrontés à une même difficulté : comment financer les besoins sociaux très élevés d’une population en croissance continue ? Cette situation s’aggrave quand comme dans le cas des pays concernés, ils doivent faire face à des attaques terroristes qui déstabilisent l’économie et s’en prennent à la sécurité physique des citoyens.
L’épargne et les recettes nationales étant faibles dans nos pays pour des raisons structurelles, l’Etat est obligé de s’endetter. La question est alors de savoir : à quels créanciers s’adresse-t-on et à quelles conditions sont contractées les dettes? On peut certes s’endetter sur les marchés obligataires, mais ceci comporte aussi des risques : des intérêts plus ou moins élevés dont le remboursement peut conduire à la faillite des finances publiques si la production de richesses n’est pas à la hauteur et si la fiscalité ne suffit pas à engranger les recettes nécessaires.
La faillite de l’Etat n’est pas une vue de l’esprit. Le Ghana pourtant démocratique et acquis à l’Etat de droit est confronté à cette situation mais peut y faire face en négociant avec ses créanciers. Le gouvernement ghanéen peut bénéficier de l’accompagnement du FMI et du club de Paris. Pourtant à son accession à la Présidence de la République en 2017, le chef de l’Etat Ghanéen Nana Akufo-Addo s’était fait connaître par son slogan « Beyond the Aid ». Le Ghana était alors qualifié de meilleur élève de l’Afrique de l’Ouest au regard de son dynamisme économique.
Le Bénin révolutionnaire et marxiste-léniniste de Mathieu Kérékou avait expérimenté la rupture avec l’impérialisme et le néo-colonialisme et en était sorti exsangue, non pas par le fait d’avoir recherché son indépendance politique vis-à-vis de la France mais par manque d’anticipation des dirigeants dont les slogans révolutionnaires cachaient mal la vacuité de la vision à moyen et long termes Le Bénin libéral du gouvernement de la rupture, comme le Ghana du Président libéral Akufo-Addo a beaucoup recouru aux marchés obligataires. Au moment où il doit faire face à des tensions sur les recettes publiques, espérons qu’il sera à l’abri de la mésaventure Ghanéenne.
Le refus de la Démocratie et de l’Etat de droit implique une limitation de la coopération avec certains partenaires et suppose la mise en place d’une stratégie de substitution partenariale. L’essentiel est d’assumer jusqu’au bout les choix ainsi opérés, de les clarifier devant le peuple et de faire valider par lui la stratégie ainsi proposée car, théoriquement, aucun dirigeant ne peut a priori se prévaloir d’être au-dessus du peuple.
Retour sur le cas du Sénégal : que faudrait-il pour qu’une opportunité s’ouvre ?
Dans la crise sénégalaise, le Président Macky Sall, malgré la décision du CC qui s’impose à tous et est sans recours, avait organisé un « dialogue national » les 26 et 27 février 2024 qui a proposé le report du premier tour de l’élection présidentielle au 2 juin 2024 sur la base de la liste retenue par le CC, et le maintien du Président Macky Sall jusqu’à la passation du pouvoir à son successeur. Certes, le camp du Président sortant affirma que son mandat se terminait bien le 2 avril 2024, et qu’il se limiterait à gérer les affaires courantes.
En fait de « dialogue national », il est apparu que les participants représentaient essentiellement des partisans de la manœuvre du Président Macky Sall. On sait comment tout ceci s’est terminé. Le Président sortant, appuyé par le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) a usé de toutes les procédures démocratiques et juridiques pour différer le processus électoral. Le CC a tenu bon et le Président a dû concéder la tenue des élections au 24 mars, élection que le candidat de sa coalition, l’ancien Premier ministre Amadou BA a perdue dès le premier tour et que le candidat du parti banni « Patriotes Africains du Sénégal pour le Travail et la Fraternité » (PASTEF), Bassirou Diomaye FAYE a gagnée brillamment malgré l’emprisonnement de certains de ses leaders, lui et Ousmane SONKO y compris.
On doit cet heureux happening pas uniquement au mérite des vainqueurs mais aussi à la division de la coalition du Président Macky Sall et à la décision du PDS de sanctionner le candidat du Président sortant.
Ce retournement extraordinaire de la situation d’un Président sortant qui a exercé une hégémonie sur les institutions de la Démocratie et de l’Etat de droit au Sénégal et qui aspirait à téléguider les décisions de ses successeurs est un gage d’espérance pour tous les Etats africains dans lesquels les contre-pouvoirs sont asservis et l’avenir de l’Etat de droit et de la démocratie est lourdement compromis.
Mais rien n’était inscrit dans le marbre et on a tort d’exagérer le caractère éminemment démocratique du Sénégal. On devrait décerner des médailles aux membres du CC. Leur abnégation et la résilience du PASTEF ont permis de mettre à nu les intrigues et de sauver un système politique dont les insuffisances sont parues à la face du monde. Il revient au nouveau pouvoir de les corriger et de contribuer ainsi à améliorer un système terni par l’exercice illégitime de la violence, un régime hyper présidentialiste et la consécration de l’impunité par un Président sortant au travers d’une loi d’amnistie en faveur de crimes non jugés. Les assises nationales de la justice lancées le 28 mai 2024 par le nouveau pouvoir augurent bien des réformes attendues.
Pour que le changement politique au Sénégal devienne une opportunité d’un renouveau démocratique en Afrique de l’Ouest, il faudrait une transformation de la démarche volontariste des nouveaux dirigeants en une conception politique plus globale et cohérente à la double échelle du Sénégal et de la région.
Sursaut de la Démocratie et de l’Etat de droit en Afrique de l’Ouest
Si j’ai autant développé le cas du Sénégal dans cette chronique, c’est parce qu’il porte un espoir pour l’Afrique de l’Ouest : amorcer par la voie de la Démocratie et dans le respect de l’Etat de droit, le long chemin d’un renouveau de l’intégration régionale.
A la veille et au lendemain de l’indépendance, le Sénégal a été impliqué dans deux expériences ratées de fédérations : celle du Mali et de la Sénégambie. Beaucoup de leçons ont été tirées depuis et malgré une bifurcation de 60 ans des gouvernements précédents vers une conception plus nationaliste, et les velléités pro-intégrationnistes du Président Wade, les héritiers de Mamadou Dia doivent remettre l’ouvrage de l’intégration régionale sur le métier et rouvrir le débat d’une Afrique de l’Ouest démocratique et confédérée.
Le Ghana du vénérable Kwame Nkrumah était à l’avant-garde du panafricanisme continental. Ce pays est aujourd’hui dans le peloton de tête de ceux qui ont un fonctionnement conforme aux règles de la Démocratie et de l’Etat de droit. Ceci sera sans aucun doute confirmé par l’élection présidentielle de décembre 2024 qui s’annonce très disputée dans le contexte d’une grave crise de l’économie ghanéenne.
Néanmoins, le Sénégal et le Ghana peuvent être à l’avant-garde d’un sursaut de la Démocratie et de l’Etat de droit dans la région. Ceci devrait viser une intégration régionale innovante dont nous présentons les prémisses ci-dessous.
Outre les aspects importants qui relèvent de l’éthique, l’option de la Démocratie et de l’Etat de droit vise à partager avec le reste du monde un idéal d’épanouissement individuel et social qui va au-delà du bienêtre matériel. Cette option comme le démontre le cas du Sénégal n’est pas incompatible avec le refus de la dépendance aux forces prédatrices des ressources naturelles de l’Afrique. A l’inverse, le choix alternatif n’assure aucunement l’indépendance par rapport à ces forces qu’elles soient occidentales, russes, ou du Sud global. Pour échapper à la prédation des ressources naturelles et à la condamnation à demeurer le réceptacle des produits finis importés, l’Afrique en général, et en particulier l’Afrique de l’Ouest doit impérativement développer une intelligence stratégique.
Nous avons besoin de nous industrialiser pour offrir des emplois à nos populations de plus en plus nombreuses et jeunes. Cette industrialisation qui doit être résiliente pour être robuste a besoin de ressources humaines, de technologies dont l’essentiel sera, dans un premier temps, importée. Mais elle a aussi besoin d’un marché de taille critique.
Notre intelligence stratégique doit donc inclure, l’ouverture au monde, la capacité d’importer des biens durables, en particulier les technologies de transformation industrielle, la formation accélérée de nos ressources humaines, la mise en place d’un marché de proximité permettant de bénéficier des économies d’échelle de la production industrielle, et enfin une coordination économique harmonieuse à l’échelle de la région incluant un code partagé de valorisation des ressources naturelles.
L’option démocratique et de respect de l’Etat de droit présente l’avantage de rester ouvert aussi bien aux institutions libérales de coopération financière telles que celles de Bretton Woods, qu’à celles du Sud global en cours d’émergence. Ceci nécessite une capacité à développer une autonomie décisionnelle inaccessible aux nombreux micro-états qui constituent aujourd’hui notre région. Le modèle actuel de l’intégration régionale illustré par la CEDEAO ne paraît pas convenir car, comme on le voit bien, il ne permet ni des échanges significatifs entre les Etats, ni le développement d’une capacité d’autonomie décisionnelle suffisante. Il est donc nécessaire d’innover dans la conception d’une intégration régionale qui reposerait sur des valeurs de Démocratie et de respect de l’Etat de droit.
Le modèle que je propose comprend les trois étapes.
1) Etape 1 : Fédéralisation
Le Nigeria qui regroupe 36 Etats doit se décentraliser en donnant plus de pouvoirs politiques et économiques au Etats fédérés. Présentement, l’Etat fédéral détient la souveraineté sur les ressources naturelles, cette souveraineté doit être mieux partagée avec les Etats fédérés dont les prérogatives décisionnelles doivent être renforcées. L’Etat fédéral doit mieux contrôler le respect des normes de gouvernance et de gestion des ressources sur toute l’étendue de la fédération et lutter plus efficacement contre la corruption à tous les niveaux. L’économie nigériane doit mieux se diversifier pour moins dépendre du pétrole et des fluctuations de ses prix sur le marché international, laquelle volatilité induit l’instabilité du naira et oblitère la capacité du Nigéria à s’industrialiser durablement.
Les 14 autres pays de l’Afrique de l’Ouest doivent constituer une deuxième fédération structurellement différente de celle du Nigeria, une fédération décentralisée où chaque Etat maintiendra sa souveraineté totale sur ses propres ressources naturelles. La Fédération Sahélo-Guinéenne (FSG) doit mutualiser, entre les 14 Etats fédérés, la défense, la sécurité collective et en particulier la lutte contre le terrorisme, et la diplomatie. Elle doit conduire une coordination des politiques économiques pour renforcer la complémentarité des structures et de la production industrielle ainsi que celle des grandes infrastructures telles les ports et d’autres moyens de logistique et de transport.
2) Etape 2 : Coopération révisée et renforcée
Dans cette étape, la CEDEAO sera profondément réformée et deviendra une institution de coopération entre 50 Etats (36 Etats du Nigéria et 14 Etats de la FSG). L’objectif, à cette étape est de renforcer la coopération économique et la mobilité effective des biens et des personnes dans toute la région.
3) Etape 3 : Confédéralisation
La CEDEAO profondément réformée sera transformée en une confédération partageant, entre ses membres, des valeurs démocratiques et respectueuses de l’Etat de droit. La gouvernance de la confédération sera assurée par des représentants des peuples légitimés par des élections dédiées, élections des députés et de l’exécutif selon des modalités à convenir. Le parlement confédéral sera constitué de deux chambres, une pour chaque fédération et les décisions seront prises de manière consensuelle entre les deux chambres.
Un préalable pour cheminer vers le modèle graduel proposé est de rompre avec la vague de nationalisme qui se développe dans nos micro-Etats et qui veut que chaque citoyen soit patriote et que la mobilité économique soit restreinte. Ce patriotisme qui prône la priorité absolue à chaque micro-Etat est la consécration du piège néocolonial. Chaque fois que nous convoquons ce patriotisme, nous faisons allégeance, à notre insu, aux scories de la colonisation.
Les micro-Etats auxquels nous sommes invités à exprimer notre loyauté exclusive sont des fabrications de la colonisation et nous ne pouvons pas nous décoloniser en continuant à perpétuer la structuration de notre région exclusivement par ces vestiges. Ces micro-Etats sont certes une réalité historique mais ils doivent être dépassés et réappropriés dans une fonction de subsidiarité. Notre véritable patrie, celle qui est dotée d’une légitimité historique plus lointaine et d’un avenir plus engageant c’est l’Afrique de l’Ouest.
A l’échelle mondiale, le patriotisme et le nationalisme étroit sont le carburant de l’extrême droite et du conservatisme politique. La gauche extrême s’y abreuve parfois pour des raisons de légitimation populaire qui ne sont pas incompatibles avec le fonctionnement d’une confédération.
La construction d’une confédération de l’Afrique de l’Ouest démocratique, laïque et respectueuse de l’Etat de droit ne peut être compatible avec un apparentement à des valeurs d’extrême droite et de conservatisme.
Edgard Gnansounou
Edgard Gnansounou préside le Mouvement des Fédéralistes Sahélo-Guinéens, une association internationale qui promeut la fédéralisation des Etats de l’Afrique de l’Ouest.