Chroniques 4 Inventer des modèles de démocratie adaptés à nos besoins : Partie I

Chroniques 4 Inventer des modèles de démocratie adaptés à nos besoins : Partie I

Une petite musique titille nos oreilles ces dernières semaines. Le Président de la transition de la République de Guinée, le Colonel Mamadi Doumbouya l’a interprétée, le 21 septembre 2023 à la tribune de la 78è session des Nations-Unies à New York : « L’Afrique souffre d’un modèle de gouvernance qui  nous a été imposé, un modèle certes bon et efficace pour l’occident qui l’a conçu au fil de son histoire mais qui a du mal à passer et à s’adapter à notre réalité, à nos coutumes, à notre environnement. » Selon lui, la démocratie qui nous a été imposée n’a contribué qu’à entretenir la corruption des élites aux seules fins d’en faire de bons intermédiaires pour céder notre patrimoine au travers de contrats léonins.

Dans la  présente chronique qui est la première d’une sérieconsacrée aux modèles de gouvernance démocratique en Afrique de l’Ouest, nous voulons questionner sans indulgence cette rhétorique en répondant à la question suivante:

De quel modèle de gouvernance parlait le Président de la transition de la République de Guinée ?

Deux grandes catégories de base de démocratie existent en fonction de la responsabilité qu’assume le citoyen au cours du mandat des élus. Dans le cas de la démocratie représentative, le peuple délègue à ses représentants la responsabilitéexclusive de la gouvernance. La démocratie participative donne plus de responsabilité au peuple; même après avoir élu ses représentants, il conserve la possibilité de se prononcer, voire de désavouer certains des actes pris au cours de leur mandat ou de prendre directement des initiatives visant àlégiférer ou réviser la constitution. Le processus de décision gouvernemental est plus lent compte tenu des consultations nécessaires auprès des parties concernées. L’opposition peut chercher à jouer le peuple contre la majorité au pouvoir. La solution pour éviter de bloquer le fonctionnement de l’Etat est alors de rechercher un gouvernement de consensus entre les partis politiques. Ainsi, la démocratie participative donne souvent lieu à des gouvernements de coalition, alors que dansle cas de la démocratie représentative la majorité au pouvoir et les oppositions sont en compétition permanente, ce qui peut ralentir la gouvernance si les partis au  pouvoir ne jouissent pas d’une majorité absolue.

Ces deux types de démocratie ont des points communs : (1) le citoyen doit être l’unité de base et doit jouir d’une certaineconsidération ; il doit se soumettre de manière volontaire et si nécessaire, par la « violence légitime » de l’Etat, à la loi qui régente la religion civile qu’est le respect de l’Etat de droit ; (2) l’ensemble des citoyens élit ses représentants ; (3) la démocratie s’appuie sur l’Etat de droit pour la gouvernance du pays ; (4) l’Etat responsable d’administrer la société doit être, en principe, non partisan ; (5) le système démocratique reposesur trois pouvoirs séparés, le législatif, l’exécutif, et le judiciaire. Les relations entre ces trois pouvoirs donnent lieu à des variations importantes des modèles de gouvernance. Le système de gouvernance peut être présidentiel, parlementaire ou semi-présentiel.

On voit qu’il y a une diversité de régimes démocratiques surtout si on considère que la démocratie représentative peut comporter des dispositifs participatifs tels que le référendum et l’initiative populaire, mais ils sont soumis à des conditions plus restrictives que dans le cas de la démocratie participative.

La gouvernance démocratique que déplore le Président Doumbouya est celle de la cinquième République française, système en principe semi-présidentiel mais qui fait du Président de la République élu au suffrage universel la pierre angulaire de la gouvernance et qui présente un enjeu de confrontation permanente entre les partis favorables au Président en exercice et les oppositions.

Comment cet enjeu s’exprime-t-il sous nos latitudes ? Prétextant de chercher à éviter les joutes et manœuvres politiciennes incessantes qui éloigneraient la gouvernance des problèmes du pays,  l’hyperprésident, dans nos pays, tend à réduire l’opposition à sa plus simple expression. Par la même occasion, il annihile les contre-pouvoirs et accroît la vulnérabilité de la gouvernance démocratique qui se rapproche alors de la dictature. Dans la plupart des anciennes colonies françaises, les constitutionnalistes se sont beaucoup inspirés de la constitution de la cinquième république française arguant qu’elle assurait la stabilité institutionnelle et que les Africains devaient être dirigés avec autorité.

Ce préjugé culturaliste est la cause du modèle que nous subissons et qui perpétue un rapport de subordination entre le citoyen et les gouvernants installé depuis la période coloniale. L’ancien colonisateur a sans doute sa part de responsabilité dans ce modèle de gouvernance, lui qui gagne à nous maintenir sous son influence ; mais quelle est  la nôtre?

Avons-nous pris la mesure de nos propres conditionnements et de leurs reproductions d’une génération à l’autre au travers du contenu de l’éducation formelle dispensée dans nos écoles, à tous les niveaux ? A quels problèmes doit répondre l’architecture de nos institutions ? Comment comprendre que les multiples révisions de la constitution depuis l’accession à l’indépendance formelle n’aient pas permis d’installer une gouvernance répondant à nos besoins ?

Tant que nous n’adopterons pas une approche conceptuelle et que nous nous contenterons de reprendre les solutions que d’autres ont trouvées pour résoudre leurs propres problèmes à un moment de leur histoire, nous pouvons continuer à nous plaindre d’être les dindons de la farce. En réalité, à part les contextes des conférences nationales des années 1990, les Constitutions des années 1960 et celles qui leur ont succédéont aggravé le legs colonial.

Les Constitutions des années 1960 ont institué dans la plupart des anciennes colonies françaises un régime de parti unique.La gouvernance « imposée » dont parle le Colonel Doumbouya concerne l’exigence du Président François Mitterrand dans son discours de la Baule du 20 juin 1990. Prononcé à l’occasion de la 16ème conférence des chefs d’Etat d’Afrique et de France, il invitait les Etats africains à l’instauration d’une démocratie pluraliste. Le multipartisme qui est ensuite apparu dans différents Etats n’a pas longtemps résisté aux révisions de la loi fondamentale.

Ces révisions ont eu tendance à renforcer les prérogatives du Président de la République, ceci pour une raison simple, elles répondaient à la volonté du Chef de l’Etat en exercice de renforcer son pouvoir. Ne reproche-t-on pas, par exemple, à  la nouvelle Constitution du Mali promulguée le 22 juillet 2023 de renforcer considérablement les pouvoirs du Président de la République ? L’hyper présidentialisme semble convenir à la plupart des gouvernants qu’ils soient militaires, civils, ou   militaires reconvertis en civils. La gouvernance démocratique qui nous a été imposée n’a pas fini de faire des petits fiers de leur ascendance.

L’Agenda 40-45 propose de prendre du recul pour repenser la gouvernance démocratique qui répond le mieux aux besoins d’épanouissement des peuples africains en échappant à tout atavisme, à toute tentation de mimétisme.

 

Edgard Gnansounou

Edgard Gnansounou est professeur honoraire de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne. Il préside le Mouvement des Fédéralistes Sahélo-Guinéens, une association internationale qui promeut la fédéralisationdes Etats de l’Afrique de l’Ouest.

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