Chronique 5 Inventer des modèles de démocratie adaptés à nos besoins : Partie II

Chronique 5 Inventer des modèles de démocratie adaptés à nos besoins : Partie II

Le Colonel Mamadi Doumbouya, Président de la transition de la République de Guinée, déclarait le 21 septembre 2023 à la tribune de la 78è session des Nations-Unies à New York ce qui suit : « L’Afrique souffre d’un modèle de gouvernance qui  nous a été imposé, un modèle certes bon et efficace pour l’occident qui l’a conçu au fil de son histoire mais qui a du mal à passer et à s’adapter à notre réalité, à nos coutumes, à notre environnement. » En nous appuyant sur cette déclaration, nous nous sommes posé la question, dans la chronique précédente, sur la nature de la démocratie « imposée » dont il s’agissait. Après avoir examiné différents modèles de gouvernance démocratique, nous avons montré que le Président Guinéen, parlait du discours de la Baule de François Mitterrand de 1990 qui enjoignait aux Etats africains de se convertir au multipartisme. Il apparait que beaucoup d’Etats de l’Afrique de l’Ouest, en particulier les anciennes colonies de la France se sont inspirés de la Constitution de la cinquième république française pour leur loi fondamentale et ont eu tendance continuellement à renforcer l’hyper-présidentialisme. On observe aussi dans la déclaration du Président Guinéen, une reconnaissance de l’efficacité de la gouvernance démocratique en Occident contrairement, pense-t-il, aux pays africains où elle serait inadaptée à nos coutumes. Nous tentons dans la présente chronique de répondre à la question suivante :

Est-il vrai que la gouvernance qui nous est imposée estbonne et efficace pour l’Occident ?

Il est de notoriété commune que la démocratie représentative est en crise dans le monde du fait que, face à l’importance grandissante de l’économie globale, les marges de manœuvre des élus se sont réduites inexorablement et l’alternance ne produit plus les changements attendus par le corps électoral. On assiste alors à un désenchantement démocratique qui se traduit par une tendance à la baisse des taux de participation électorale et à la montée de l’extrémisme.

Mais comme le montre l’Italie, même quand il parvient au pouvoir, l’extrémisme est incapable de tenir ses promesses, du fait de la dépendance croissante à l’extérieur des économies nationales. La révolution conservatrice aux Etats-Unis et auRoyaume-Uni rencontre la même difficulté, avec des régimes démocratiques différents. Le Brexit qui visait à donner à la Grande Bretagne davantage de marge de manœuvre s’est révélé  être un fiasco et de plus en plus de Britanniques seraient favorables à un retour dans l’Union Européenne. L’isolationnisme nationaliste parti d’un mensonge politique a donc montré ses limites plus vite que ne le redoutaient ses thuriféraires.

Hélas,  la surenchère et la déportation vers un extrême politique toujours plus extrême semble être la seuleperspective de la gouvernance dans un Occident menacé par une globalisation où son poids démographique et économique se rétrécie. Cette tendance se manifeste par la diffusion des thèses de l’extrémisme politique au sein des partis de gouvernement qui cherchent à capter un électorat de plus en plus déboussolé. Parmi ces thèses figure en bonne place la stigmatisation des migrants et en particulier, dans le cas de l’Europe,  des immigrés venus de l’Afrique subsaharienne.

Un autre facteur de fragilité de la démocratie dite occidentale est la désinformation qui connaît une montée en flèche avec l’utilisation d’algorithmes dans les réseaux sociaux pour des campagnes virales orientées vers la subversion de l’Etat de droit. La démocratie participative est plus vulnérable aux fakenews étant donné la fréquence plus élevée des consultations électorales auxquelles elle donne lieu. Mais les fausses nouvelles n’épargnent pas la démocratie représentative. Elles biaisent les résultats des élections, suscitent le déni, le refus des résultats défavorables aux perdants, nourrissent desinsurrections visant à introduire l’intimidation par la violence illégitime dans les délibérations électorales et le fonctionnement de l’Etat de droit.

L’assaut du Capitole le 6 janvier 2021 par des partisans du Président Ronald Trump – mauvais perdant – illustre bien cette dérive aux Etats-Unis d’Amérique. Ainsi, la gouvernance démocratique n’est acquise nulle part, une fois pour toutes,même pas en Occident dont elle serait l’incarnation historique. Ceci relativise la métaphore de la greffe qui n’aurait pas pris. Dans tous les pays, la démocratie subit une tension plus ou moins forte entre, d’une part, des forces sociales et économiques confiscatoires des pouvoirs et, d’autre part, des contrepouvoirs plus ou moins efficaces.

La société civile n’est pas forcément à l’écart de cette tension et ne peut donc malheureusement pas en être  l’arbitre. En effet, au travers de sources de financement, une partie des organisations de la société civile est alignée sur des thèses orientées. La désinformation peut aussi être  pratiquée par certains Etats pour influencer les élections électorales dans un autre Etat en vue de favoriser le succès de partis politiques qui leur sont plus favorables. La russiagate au cours de l’élection présidentielle de 2016 aux Etats-Unis aurait favorisé la victoire du candidat républicain au détriment d’Hilary Clinton.

L’influence des fake news ne se limite pas à l’Occident. Dans les pays africains, la société civile urbaine est de plus en plus travaillée par les réseaux sociaux qui, certes, font obstacle à l’enfermement informationnel propre aux médias grand publicmais sont, en partie, nourris par des sources insidieuses agissant aussi bien depuis l’Occident que de la Russie et d’ailleurs. Il en est ainsi de certains groupes mystico-politiques, adeptes de la théorie du complot qui charrient des thèses extrémistes. Cherchant à s’opposer à des sensibilités centristes au pouvoir en Occident ou à prendre une part de marché géopolitique, ces groupes instillent des phobies anti élites et complotistes qui s’habillent parfois d’une apparence anti-impérialiste et trouvent un écho dans une partie de la société civile africaine.

L’appel à l’insurrection, à la révolte violente devient un instrument de la contestation politique qui met à mal la religion civile qu’est le respect de l’Etat de droit. Le contrat démocratique entre le citoyen et l’Etat se fissure dangereusement en Occident. Il est urgent pour ces paysd’innover pour reconstruire le contrat social, une société civileautonome, et une architecture institutionnelle plus résiliente.

Par ailleurs, le Président Doumbouya a-t-il raison quand il mesure l’efficacité de la démocratie en Occident à la réussite socio-économique ? En réalité, la bonne performance économique dans les pays à économie avancée n’est pas la preuve du  succès de la gouvernance démocratique en Occident. La prospérité économique de ces Etats résulte davantage d’une gouvernance économique effective etd’interactions efficaces entre les forces socio-économiques ainsi que de la division internationale du travail plus favorable pour l’Occident, toutes choses qui connaissent d’importantes mutations dans un XXIème siècle où les cartes sont en train d’être rebattues.

Dans le cadre de L’Agenda 40-45 la réflexion sur les modèles de gouvernance démocratique est libérée de tout complexe d’infériorité, de tout culturalisme. Les pays du Nord ne sont pas les maîtres ès démocratie et les Etats africains les élèves. L’exigence démocratique est bonne pour tous et la gouvernance démocratique est menacée partout. Il y a lieu, dans chaque Etat, de trouver les modèles de gouvernance démocratique permettant d’atteindre les objectifs de développement humain prioritaires que se donne la société et ceci à l’abri de toute manipulation interne ou externe. La réflexion en cours concerne particulièrement les Etats de l’Afrique de l’Ouest qui, malgré leur diversité, apparaissent homogènes par rapport aux besoins de gouvernance démocratique.

Edgard Gnansounou

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