Chronique 2 : La sécurité collective en Afrique de l’Ouest : une question de survie
Le continent africain est le plus grand pourvoyeur de réfugiéset de déplacés dans le monde. Les conflits politiques, ethniques sont nourris en grande partie par l’exploitation des ressources et la répartition inéquitable des richesses et par les trafics illicites combinés au fondamentalisme religieux. Ces conflits entretiennent les flux de déplacés intérieurs et de migrants. La migration économique s’amplifie face à l’appauvrissement croissant d’une population en croissance continue. Le changement climatique s’ajoute à ces causes pour aggraver un phénomène déjà préoccupant.
Au lendemain des indépendances, les leaders politiques craignant surtout les conflits frontaliers entre Etats voisins avaient institué la sacrosainte règle du respect des frontières héritées de la colonisation. Mais c’est apparemment à l’intérieur des Etats eux-mêmes que les conflits les plus importants ont prospéré. La corne de l’Afrique avec l’Ethiopie et la Somalie, la région des Grands-Lacs avec La République Démocratique du Congo, le Rwanda, le Burundi ainsi que le Soudan ont été particulièrement affectés par ces conflits.
Depuis la déstabilisation de la Lybie, l’Afrique de l’Ouest est touchée par la résurgence et la recrudescence de trafics de toutes sortes (drogue, armes, matières premières). Des groupes violents s’inscrivant dans la tradition multiséculaire des circuits transsahariens, s’en prennent à des Etats déjà faibles, sous le prétexte de mise en place d’un khalifat africain. Ce melting-pot de groupes pratiquant la piraterie, les rackets et le djihad se réclame confusément d’une tradition née à la fin du 18è siècle de la conquête islamique du Nord du Nigéria par Ousmane Dan Fodio avec la création du khalifat de Sokoto. Boko Haram, apparu initialement en 2002 installe, paradoxalement, son khalifat dans l’Etat du Borno qui résista contre Ousmane dan Fodio. En mars 2015, Boko Haram prête allégeance à l’Etat Islamique né des crises d’Irak et de Syrie. Boko Haram est l’exemple le plus abouti de ces mouvements qui, soutenus depuis le Moyen-Orient participent à la déstabilisation de l’Afrique de l’Ouest.
Les mouvements djihadistes prennent de l’ampleur ces dernières années en Afrique de l’Ouest, débordent la zone sahélienne pour se répandre au-delà des frontières septentrionales du Golfe de Guinée. Les mécanismes de la CEDEAO tels que la Force en attente qui ont succédé à l’ECOMOG ne paraissent pas adaptés aux modes de fonctionnement de ces groupes et ceci pour plusieurs raisons. La CEDEAO, malgré ses protocoles relatifs à la paix, la sécurité, et la démocratie, n’a pas la légitimité politique nécessaire pour organiser une armée homogène et aguerrie. Les forces en attente conviennent davantage au maintien de la paix dans une guerre symétrique entre des belligérants bien identifiés. L’évocation de la mise en branle de la force en attente au Niger suite au coup d’Etat du 26 juillet 2023 sème la confusion sur les attributions et missions de cette force. La complexité des modes de fonctionnement des groupes violents et la guerre asymétrique qu’ils mènent contre les Etats et les populations nécessitent une stratégie complète et fine combinant le renseignement, l’infiltration, l’identification des groupes violents et leur démarcation des populations, l’emploi de moyens d’intervention modernes tels que des drones armés et ceci, avec discernement, dans le strict respect des droits de la personne humaine. Cette stratégie doit faire une place plus importante à la prévention. Les nombreux jeunes déscolarisés et désœuvrés que comptent les Etats de l’Afrique de l’Ouest constituent le milieu privilégié dans lequel ces groupes recrutent.
Les interventions militaires françaises successives, doublées d’une recherche de solutions politiques ont fourni en plusieurs décennies des résultats très mitigés. Au Mali, par exemple, l’attitude de la France face à la rébellion touareg de l’Azawad est jugée complaisante par une grande partie de l’élite militaire du pays qui n’accepte pas ce qui lui apparaît comme une atteinte à l’intégrité territoriale de leur nation. Il est reproché à l’ancienne puissance coloniale de soutenir les velléités d’indépendance du « Nord-Mali » dans le but secret de maintenir sa domination sur le pays. En réalité, la question du rattachement au « Soudan français » des territoires concernés s’est posée à la veille de l’indépendance en 1957 et est revenue de manière récurrente au travers des mouvements de rébellion issus de populations touareg du Mali. En s’impliquant directement dans ce conflit plusieurs décennies après les indépendances et en adoptant une posture en apparence au-dessus de la mêlée, le gouvernement français ne mesure pas suffisamment le caractère paternaliste de sa position.
Les mêmes reproches sont faits à la France par les militaires qui ont pris le pouvoir dans plusieurs pays du Sahel en particulier au Burkina Faso et au Niger. Ces pays, sous le coup de sanctions économiques par la CEDEAO, ont tendance à se tourner vers la Russie. L’Afrique de l’Ouest se trouve ainsi enserrée dans un étau géopolitique complexe dont un des déterminants est la guerre de la Russie en Ukraine et les jeux d’alliances qui en découlent.
La France et, avec elle, l’Union Européenne semblent compter sur des pays comme le Bénin et la Côte d’Ivoire dans le Golfe de Guinée pour maintenir une présence militaire dans la sous-région. Elles justifient leur stratégie par la nécessité de lutter contre « le terrorisme et l’immigration clandestine ». La CEDEAO qui bénéficie du soutien financier de l’Union Européenne et participe à la Force en attente de l’Union Africaine semble prise en tenaille entre des opinions publiques de plus en plus hostiles à une tutelle politique, économique et militaire de l’occident et des Chefs d’Etat dans la sous-région qui font dépendre le succès de leur politique économique de l’afflux d’ investissements étrangers directs. Le caractère fondamentalement coopératif de la CEDEAO et sa dépendance lui permettront-ils d’offrir aux populations de l’Afrique de l’Ouest, une alternative autonome d’organisation de la sécurité collective de la sous-région ? On peut en douter.
L’Agenda 40-45 opte pour la mutualisation de l’espace territorial et politique de l’Afrique de l’Ouest en vue d’une industrialisation résiliente, la construction d’une vraie solidarité en vue d’une sécurité collective indépendante de toute puissance étrangère, la mutualisation de la justice pour un règlement pacifique des conflits qui résultent desentorses au respect des lois fondamentales, le maintien et la défense mutuelle de la souveraineté de chaque Etat sur ses propres ressources naturelles, la construction d’une sous-région laïque débarrassée des groupes violents qui profitent de la fragmentation et de la faiblesse de nos Etats.
Edgard Gnansounou
Professeur honoraire
Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL)
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