Chronique No 7 Inventer des modèles de démocratie adaptés à nos besoins : Partie IV
Nous appuyant sur l’extrait suivant du discours du Colonel Mamadi Doumbouya, Président de la transition de la République de Guinée, le 21 septembre 2023 à la tribune de la 78è session des Nations-Unies à New York, nous tentons de répondre à une série de questions sur la gouvernance démocratique en Afrique : « L’Afrique souffre d’un modèle de gouvernance qui nous a été imposé, un modèle certes bon et efficace pour l’occident qui l’a conçu au fil de son histoire mais qui a du mal à passer et à s’adapter à notre réalité, à nos coutumes, à notre environnement. » déclarait le Colonel.
Dans les chroniques précédentes, nous nous sommes interrogé sur la nature de la démocratie « imposée ou importée » et sa supposée efficacité en Occident et sur les limites de son incrimination par certains gouvernants Africains. Le discoursde la Baule de François Mitterrand en 1990 est souvent présenté comme un exemple de la volonté de l’Occident d’exporter sa démocratie en Afrique. Contrairement à certainsleaders Africains qui affirment le caractère universaliste de la démocratie, d’autres soutiennent que la gouvernance politique en Afrique doit être adaptée aux coutumes. Dans la présente chronique, nous nous employons à répondre à la question suivante:
Le culturalisme politique doit-il inspirer les modèles de gouvernance en Afrique ?
Les jeunes générations africaines sont de plus en plus séduites par le culturalisme politique. Il est fréquent de se référer aux ancêtres, de faire appel à leur mémoire, à leur réprobation, d’en appeler à adopter une gouvernance conforme à nos réalités, à nos coutumes. Cette quête d’identité a ceci de positif qu’elle nous pousse à désapprouver le mimétisme de nos institutions et des personnalités qui les dirigent. Mais cette posture a le défaut de manquer de recul et d’approche critique sur nos propres coutumes, nos propres « réalités ». Nous oublions souvent que bon nombre de nos coutumes, celles que nous connaissons aujourd’hui, résultent entre autres de siècles d’interactions avec l’Occident et l’Orient dominateurs.
Les résultats que nous observons aujourd’hui n’ont pas toujours existé et ils sont en transformation plus ou moins rapide. Nos coutumes sont traversées par de nombreux courants parfois favorables à l’épanouissement individuel, souvent privatifs de liberté individuelle et d’initiatives personnelles. Le culturalisme prend souvent deux orientations. Laudatif, il considère nos coutumes comme la référence qui doit inspirer la politique. Le retour à l’authenticité de Mobutu et les différentes variantes du socialisme africain en sont des exemples. Le culturalisme stigmatisant voit nos culturescomme un frein au développement et nous invite à nous assimiler à la culture occidentale ou orientale ; on retrouve les partisans du culturalisme stigmatisant parmi les libéraux favorables à la dépendance à l’Occident ou à l’Orient.
Il arrive que certains dirigeants épousent simultanément ces deux registres, laudateur pour caresser l’électeur dans le sens du poil à l’approche des élections et stigmatisant pour lui apporter les bienfaits du développement, lui ouvrir les yeux et le sortir de l’obscurité dans laquelle le maintien la tradition.
Retour d’expérience sur le culturalisme politique en Afrique
L’archétype Mobutu
Rappelons-nous : le 27 octobre 1971, Joseph Désiré Mobutu nous avait servi une rhétorique culturaliste quand il prônait le retour à l’authenticité, qu’il définissait comme suit : « L’Authenticité nous a fait découvrir notre personnalité en puisant au plus profond de notre passé le riche héritage culturel que nous ont légué nos ancêtres. Nous n’avons pas l’intention de revenir aveuglément à toutes les coutumes ancestrales; plutôt, nous aimerions choisir celles qui s’adaptent bien à la vie moderne, celles qui encouragent le progrès et celles qui créent un mode de vie et de pensée qui sont essentiellement les nôtres. » On sait ce que feu le maréchal Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Za Banga était devenu après un mandat initialement prévu pour cinq ans et transformé en présidence « à vie » ; un dictateur à la tête d’une ploutocratie qui détourna l’immense richesse du pays à son unique profit. La République Démocratique du Congo n’a pas fini de payer ces errements qui ont commencé avec l’assassinat de Patrice Lumumba par des sbires Belges avec la complicité de qui ? Le naufrage s’est poursuivi par une saignée des ressources naturelles du pays.
Le socialisme africain
On pourrait de même questionner les doctrines du socialisme africain adoptées par certains leaders tels que Leopold SedarSenghor, Julius Nyerere, et Jomo Kenyatta sans que ceci ne repose sur un corpus théorique commun à part l’intuition que la tradition africaine privilégie la solidarité et serait donc d’inspiration socialiste. Chacune de ces doctrines est une hybridation entre des éléments tirés de références exogènes (marxisme, christianisme, démocratie, maoïsme) et d’autres éléments inspirés de l’organisation solidaire et des processus de décision dans les sociétés africaines. La démarche doctrinaire du socialisme africain avait une faiblesse importante, le manque de pluralisme politique et donc son caractère liberticide. Par ailleurs, la solidarité identifiée comme une caractéristique des traditions africaines est essentialisée et rapprochée des coopératives sans se demander si elle ne s’explique pas par une observation, à un moment donné, de l’évolution des rapports de production de biens et services. Les pressions internationales en vue de la libéralisation politique et économique ont eu raison du « socialisme africain » sous ses différentes formes. Ce qui, heureusement, n’empêche pas des formations politiques d’obédience socialiste de continuer à participer à l’écosystème partisan dans nos pays. Elles sont souvent affiliées à l’Internationale socialiste.
Le libéralisme en Afrique et le culturalisme
Contrairement au « socialisme africain » qui n’a pas réussi à naître de l’essentialisation culturaliste du fonctionnement africain, le libéralisme, dans sa version extravertie postule la nécessité pour les sociétés africaines de se libérer de l’emprisedes coutumes et traditions sur les individus pour leur permettre de développer leur capacité d’initiative et devenir de bons capitalistes. La culture africaine, selon cette orientation serait un frein pour l’appropriation du libéralisme économique. Les caractéristiques souvent incriminées sont les suivantes : la priorité de la communauté sur l’individu, le refus de la compétition, la nature féodale des sociétés africaines, la peur de l’individu à émerger de la communauté, l’obligation de partager les profits avec le reste de la communauté et donc la difficulté d’épargner.
L’appropriation du libéralisme et en particulier de l’entrepreneuriat doit passer par des formations appropriées. Le libéralisme extraverti favorise la dépendance des économies africaines aux anciennes métropoles coloniales dans un premier temps et à l’économie globale ensuite. En particulier, il pose comme condition nécessaire du développement des économies africaines la dépendance aux investissements étrangers directs et aux transferts de la coopération bilatérale et multilatérale. Se posant en alternative au libéralisme extraverti, l’africapitalisme du richissime homme d’affaire Nigérian Tony Elumelu cherche à développer un capitalisme national sur la base de la « théorie du ruissellement ». Mais cette version du libéralisme n’est pas exempte de critique. On lui reproche, en particulier, son inefficacité en termes de redistribution de la richesse créée et sa propension à renforcer les inégalités sociales entre une petite minorité de riches et une majorité de plus en plus grande de pauvres. Le libéralisme qu’il soit extraverti ou africapitaliste semble porter le même idéal : enrichissez-vous.
La qualité des hommes et femmes politiques
Quel que soit le régime politique en place, la nature et la qualité des hommes / des femmes de pouvoir et la culture du pouvoir jouent un rôle important dans l’atteinte des objectifs sociaux de la gouvernance. On peut se demander quelles réalités font que dans de nombreux pays africains, la démocratie ne réussit pas. La principale raison ne serait-elle pas la culture du pouvoir dans nos pays ? Une culture fondamentalement conservatrice voire autoritaire doublée d’une disposition à la cupidité. L’ADN de la gouvernance dans beaucoup de pays africains est marqué par l’extraversion, l’intermédiation avec l’extérieur, l’appropriation des sources de richesses, et en particulier la captation directe ou indirecte des marchés publics, les détournements de fonds gérés par les structures publiques.
Ceux qui sont en position de gouverner sont à l’interface entre d’importantes forces financières externes et des intérêts nationaux satellisés. Sans contrepouvoirs efficaces, le gouvernant est naturellement déporté vers l’extérieur. Comme intermédiaire, il pend sa part aux transactions avec l’extérieur et se nourrit de la dépendance à l’extérieur ; l’obligation de servir le peuple disparaît rapidement derrière celle de se servir, surtout si la cupidité du gouvernant le soumet naturellement à cette tentation.
On voit que ce qui est en cause ici n’est pas le système démocratique lui-même ni la culture africaine. Les facteurs de dérive sont principalement les suivants : l’héritage néocolonial du pouvoir politique, le mode de gouvernance mimétique et déporté vers l’extérieur, la tentation de l’absolutisme et la qualité des hommes et des femmes de pouvoir. En particulier, les dérives liées à l’héritage de la gouvernance et à la qualité plus ou moins cupide des gouvernants, dans beaucoup de pays africains, mettent en cause le caractère démocratique des régimes en place. Le citoyen n’est considéré que pour son vote lors de la compétition électorale pour autant que les élections ne soient pas elles-mêmes biaisées par des fraudes massives. Si le citoyen n’est pas respecté, à fortiori le peuple ne peut l’être. C’est sans doute ce qu’a voulu dire le Président Doumbouya quand il affirme que la greffe n’a pas pris mais faut-il en faire grief à la démocratie « occidentale » ?
Dans la perspective de l’Agenda 40-45, la gouvernance démocratique dans les Etats africains ne doit pas s’inspirer des coutumes africaines. Mais son fonctionnement doit respecter ces coutumes si elles sont en accord avec les valeurs universelles de la démocratie. Mais quelles sont ces valeurs ? La démocratie américaine a-t-elle les mêmes idéaux que la démocratie anglaise, française, sud-africaine ? Quels devraient être nos idéaux démocratiques et pourquoi considérons-nous qu’ils sont universels ?
Les coutumes des sociétés africaines résultent d’une histoire faite de violences d’où émergent des sentiers de sagesse. Dans la course vers un futur d’épanouissementpour les individus et les sociétés, les coutumes doivent être dépassées sans être brutalisées.
Edgard Gnansounou
Edgard Gnansounou est professeur honoraire de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne. Il préside le Mouvement des Fédéralistes Sahélo-Guinéens, une association internationale qui promeut la fédéralisationdes Etats de l’Afrique de l’Ouest.
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