Chronique 1 : La CEDEAO et les sanctions économiques
Contre des Etats dont les dirigeants ont enfreint ses règles, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) peut prendre des sanctions.
En vertu de ce pouvoir, des sanctions ont été prises à plusieurs reprises ces dernières années, en particulier à l’encontre d’Etats dirigés par des militaires à la suite de coups de force. C’étaient les cas du Mali, de la Guinée, du Burkina Faso, et plus récemment du Niger. Ces sanctions sont de deux sortes, celles qui touchent directement des dirigeants, et d’autres qui visent l’ensemble de l’économie de l’Etat sanctionné.
Il faut bien convenir que cette deuxième catégorie de sanctions affecte les pays et leurs peuples et non des « putschistes ».Nous devons nous interroger sur le bien-fondéde telles pratiques. Sont-elles rationnelles, procèdent-ellesd’une logique pertinente ?
Il pourrait s’agir de faire pression sur le peuple, pour le pousser à son tour, à se soulever contre ses dirigeants. « Ventre affamé n’a point d’oreilles » dit l’adage. Les Nigériens, affamés par un blocus économique, plongés dans l’obscurité par une suspension abusive d’un contrat de fourniture d’électricité, finiront bien par retourner leur colère contre les militaires ! Le nouveau gouvernement Nigérien en manque de ressources financières et incapable de payer les salaires des soldats, devra gérer les désordres qui en découleraient. Ceci est inévitable pensent les partisans de cette logique, il suffirait de persévérer, les « putschistes » viendraient à la raison quand ils devront faire face aux conséquences du blocus économique.
N’expliquez pas aux supporters de ce genre de pratiques que c’est un peuple déjà démuni qui est affamé, ils vous répondront sans cynisme aucun, que les seuls fautifs sont les « putschistes ». Ne leur dites surtout pas que ces sanctions servent les groupes illicites qui œuvrent à la déstabilisation de nos Etats pour mieux prospérer, ils vous rétorqueront sans vergogne que c’est la faute des « putschistes » qui n’ont rien d’autre à faire que de retourner dans les casernes et affronter les terroristes, au lieu de s’emparer par la force du pouvoir politique.
Le blocus économique procède donc d’une certaine rationalité, celle du « qui ne dit mot consent » et de Machiavel. Si le peuple est affamé, il le mérite bien, car même s’il n’a pas élu les « putschistes », il ne les a pas dégagés non plus, les mains nues. Ne dit-on pas que les peuples ont les dirigeants qu’ils méritent ?
Mais comment peut-on s’en prendre à un peuple sous le prétexte de défendre ses droits démocratiques ? Cela ne relève-t-il pas d’une forme de paternalisme ? Quelles partiesdu peuple Nigérien, quels partis politiques de cet Etat ont-t-ilsappelé la CEDEAO à exercer contre leur propre pays un blocus économique ?
La CEDEAO est une organisation d’intégration économique sous-régionale, une libre association de coopération entre des Etats souverains. Le Protocole additionnel A/SP1/12/01 du 21 décembre 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance ne change pas la nature de la CEDEAO. Il ne la transforme pas en une organisation supranationale, en une Union Politiqueau-dessus des Etats membres. A ce sujet, il convient d’examiner les sanctions prévues par l’article 45 dudit protocole.
3. Pendant ladite période, la CEDEAO continuera de suivre, d’encourager et de soutenir tout effort mené par l’Etat membre suspendu aux fins de retour à la vie institutionnelle démocratique normale.
Qui ne voit donc pas que nulle part ne figure dans ces sanctions le blocus économique contre un Etat membre, et pour cause, des liens de fraternité existent entre les peuples de l’Afrique de l’Ouest. Il n’est donc pas besoin d’être co-membres d’une quelconque Communauté Economique pour s’imposer une impérieuse obligation de solidarité les uns envers les autres. Ainsi, même si l’article 45 avait prévu l’exclusion d’un Etat membre, ceci n’aurait nullement impliqué une rupture de solidarité.
La rationalité qui sous-tend les blocus économiques est donc prise à défaut. Par ailleurs, prenons garde, dans l’application des textes à résister à l’arbitraire. Ne faisons pas subir au Niger ce que nous serions incapables d’imposer au Nigéria, dans les mêmes conditions.
Le blocus économique est préjudiciable à l’essence même de notre humanité et doit être désapprouvé et abandonné.
J’invite respectueusement les dirigeants de la CEDEAO à lever, dans les meilleurs délais, le blocus économique contre le Niger car ceci contrevient gravement à notre africanité. LesChefs d’ Etat qui sont responsables de telles pratiques ne peuvent pas se prévaloir de l’application pure et simple d’une décision de la CEDEAO. Leur légitimité vient des peuples qui les ont élus et non d’une Communauté Economique. En aucun cas, la CEDEAO n’est une Union Politique Supranationale.
Edgard Gnansounou
Professeur honoraire EPFL
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