Chronique radiophonique sur RFI du 30 mars 2024, publiée par A40-45 le 31 mars 2024
Gilles Yabi, Président de WATHI – West Africa Think Tank
Du Sénégal au Togo : un contraste politique éclatant en Afrique de l’Ouest
« L’espoir suscité par ce changement spectaculaire au Sénégal est immense. Une nouvelle page de l’histoire du pays s’ouvrira avec la prise de fonction de Bassirou Diomaye Faye avec de véritables opportunités de changement positif, mais aussi son lot d’incertitudes et de risques qu’il ne faut absolument pas sous-estimer. Le maintien de l’engagement d’une grande partie de la société sénégalaise pour une gouvernance plus vertueuse, pour des institutions démocratiques fortes et pour des politiques publiques efficaces sera crucial pour que la rupture voulue par les électeurs conduise à une amélioration effective des conditions de vie des populations. Ce n’est évidemment pas gagné. »
« Cette manœuvre a le mérite de rappeler à tous que le Togo est le seul pays d’Afrique de l’Ouest à n’avoir jamais connu d’alternance démocratique depuis le coup d’État militaire de Gnassingbé Eyadema en 1967, il y a 57 ans. La semaine dernière fut celle du rappel des situations, des trajectoires et des perspectives politiques très contrastées en Afrique de l’Ouest. Rayons de lumière et lueurs d’espoir à Dakar. Politique crépusculaire d’une fausse démocratie à Lomé. Le président togolais a cette fois encore la possibilité de rebrousser chemin. »
Après plusieurs péripéties et des doutes sur la tenue de l’élection avant la fin du mandat du président Macky Sall le 2 avril, le scrutin présidentiel au Sénégal a été organisé sans incident le 24 mars. Le principal candidat de l’opposition, Bassirou Diomaye Faye, à tout juste 44 ans, deviendra dans quelques jours le plus jeune président de l’histoire du Sénégal indépendant et le plus inattendu.
L’élection du 24 mars est une victoire de la société sénégalaise, celle des citoyens qui se sont mobilisés et organisés de manière remarquable pour exiger que le scrutin se tienne avant la fin du mandat présidentiel et qui ont sans doute pesé dans la décision du Conseil constitutionnel d’aller à l’encontre de la volonté du président Macky Sall et de ses alliés politiques qui voulaient reporter l’élection à la fin de l’année.
C’est une victoire des défenseurs de l’État de droit, du respect de la Constitution et de la démocratie dans son essence. C’est une victoire de la voie du changement politique par l’expression libre et pacifique des citoyens, par opposition à l’illusion des ruptures brutales par la force militaire qui aboutissent, à de rares exceptions près, à des impasses.
C’est aussi une preuve, s’il en fallait encore, de la simplicité de l’exercice électoral quand les acteurs politiques n’ont pas décidé de voler, de travestir le choix des votants. Dès lors que les médias peuvent dès la fin du dépouillement annoncer les résultats, bureau de vote par bureau de vote, toute manipulation des résultats devient impossible. Il faut saluer le travail sérieux et non partisan de toutes les institutions impliquées dans l’organisation de cette élection.
Dans un contexte ouest-africain où se sont installés des pouvoirs militaires dans plusieurs pays, et où des présidents civils élus ont tenté et parfois réussi à s’accrocher au pouvoir par des manipulations constitutionnelles, vous estimez que cette élection sénégalaise est une excellente nouvelle ?
Absolument. L’espoir suscité par ce changement spectaculaire au Sénégal est immense. Une nouvelle page de l’histoire du pays s’ouvrira avec la prise de fonction de Bassirou Diomaye Faye avec de véritables opportunités de changement positif, mais aussi son lot d’incertitudes et de risques qu’il ne faut absolument pas sous-estimer.
Le maintien de l’engagement d’une grande partie de la société sénégalaise pour une gouvernance plus vertueuse, pour des institutions démocratiques fortes et pour des politiques publiques efficaces sera crucial pour que la rupture voulue par les électeurs conduise à une amélioration effective des conditions de vie des populations. Ce n’est évidemment pas gagné.
Vous êtes par contre très dur sur la surprise venue du Togo, un changement de constitution et de république par un vote au Parlement, même si le président Faure Gnassingbé a demandé hier soir à la présidente de l’Assemblée nationale de faire procéder à une deuxième lecture du texte.
Oui, pendant que toute l’attention était portée sur le Sénégal, les députés togolais votaient nuitamment le 25 mars pour une nouvelle constitution instaurant ni plus ni moins qu’une nouvelle république dotée d’un régime parlementaire. Le président de la République ne sera plus élu au suffrage universel, mais par les parlementaires pour un mandat unique de six ans. Le pouvoir exécutif sera exercé par un président du Conseil des ministres qui sera le chef du parti ou de la coalition majoritaire à l’assemblée. Le président Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 19 ans, fils de Gnassingbé Eyadema qui a dirigé le pays pendant 38 ans, pourra ainsi choisir l’une ou l’autre fonction, sans devoir se soumettre à une élection présidentielle.
Ce n’est pas tant le contenu de cette constitution qui est en cause, mais l’élaboration dans le secret d’une loi fondamentale qui n’a fait l’objet d’aucun débat public, votée en catimini par des députés en dépassement de mandat, à quelques semaines des législatives.
Le communiqué de la présidence togolaise d’hier soir indique que le chef de l’État « au vu de l’intérêt suscité par cette loi », a demandé une deuxième lecture du texte, « toute chose étant perfectible ». En réalité, l’intérêt suscité par le texte, c’est une levée de boucliers de la part des partis politiques de l’opposition et des acteurs de la société civile, dont la première tentative de conférence de presse de protestation a été dispersée par les forces de l’ordre.
On attend désormais ce que donnera la deuxième lecture de cette nouvelle constitution par les mêmes députés du parti au pouvoir qui l’ont adoptée largement et dont on a du mal à penser qu’ils aient pu aller jusque-là sans l’assentiment du président de la République et président-fondateur du parti.
Cette manœuvre a le mérite de rappeler à tous que le Togo est le seul pays d’Afrique de l’Ouest à n’avoir jamais connu d’alternance démocratique depuis le coup d’État militaire de Gnassingbé Eyadema en 1967, il y a 57 ans. La semaine dernière fut celle du rappel des situations, des trajectoires et des perspectives politiques très contrastées en Afrique de l’Ouest. Rayons de lumière et lueurs d’espoir à Dakar. Politique crépusculaire d’une fausse démocratie à Lomé. Le président togolais a cette fois encore la possibilité de rebrousser chemin.
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