Bénin : les termes du débat politico-éthique

Bénin : les termes du débat politico-éthique

Les faits

Au Bénin, un projet de révision de la constitution visant à inverser le calendrier des élections législatives et l’élection présidentielle n’a pas réuni la majorité qualifiée à l’Assemblée nationale. Son adoption aurait signifié le raccourcissement de quelques mois du mandat présidentiel en cours. Depuis les décisions du Conseil Constitutionnel  du Sénégal, nous devrions tous acter le fait que les dispositions de la constitution concernant la durée d’un mandat en cours sont intangibles. Ceci nous aurait permis d’économiser des mois d’un débat hors sol au moment où la situation socio-économique de nombre de nos compatriotes est déplorable.

Mais voilà que l’actualité nous a nourris d’un autre évènement controversé : la révision du code électoral en vue des prochaines élections locales, législatives et de l’élection présidentielle de 2026. Les contraintes sévères qui figurent dans le nouveau code ont soulevé de vives protestations au sein de l’opposition la conduisant à introduire des recours auprès de la Cour Constitutionnelle contre la loi votée par la mouvance présidentielle majoritaire à l’Assemblée nationale. Avant de promulguer la loi électorale révisée, le Président de la République a demandé à la Cour Constitutionnelle de statuer sur sa conformité.

La Cour Constitutionnelle du Bénin a rejeté tous les recours et déclaré que le nouveau code électoral est conforme à la Constitution. Le Président a ensuite promulgué la loi qui s’impose désormais à tous.  Nous voici confrontés à un contexte politico-éthique problématique.

L’Agenda40-45 concerne le long terme et ne se préoccupe pas de la politique partisane. Cependant, le cheminement entre la situation présente et le futur que nous appelons de nos vœux n’est pas neutre. C’est dans cette perspective qu’il nous arrive de faire des analyses critiques sur l’actualité politique des pays de l’Afrique de l’Ouest. Nos critiques sont constructives et priorisent les considérations d’ordre éthique.

Les justifications du nouveau code électoral

La nécessité de la révision du code électoral était purement technique. Il s’agissait d’ajuster le calendrier électoral pour lever les ambiguïtés en lien avec le parrainage des candidats à l’élection présidentielle de 2026. Le président de la République avait aussi insisté pour que sa réforme du système partisan ne soit pas péjorée par la nouvelle loi. Au vu du code électoral révisé, on peut affirmer que le Président a été plus qu’entendu ; le nouveau code s’impose comme un défi  très ambitieux et présente donc un risque élevé.

Au départ des réformes du système partisan entreprises par le Chef de l’Etat, il y a sa volonté de faire jouer aux partis politiques un rôle déterminant. Il constate que ces partis ont eu par le passé peu d’influence sur l’élection du Président de la République et trouve que dans l’environnement de notre région, si cette situation perdure, elle pourrait favoriser, à un moment ou l’autre, l’élection d’un trafiquant venu de nulle part qui corromprait les « grands électeurs » et prendrait en otage le pays.

Si cette crainte est légitime, on peut cependant lui opposer que dans des pays comme les Etats-Unis d’Amérique ou l’Italie, pour ne citer que ceux-là, l’existence d’accointances à un moment ou l’autre, entre les milieux de la maffia et certains responsables politiques de haut rang est de notoriété commune.

Dans un ouvrage publié récemment aux Editions PLON et intitulé « La Mafia et la Maison Blanche –  Un secret bien gardé de Roosevelt à nos jours », Jean-François GAYRAUD examine les relations entre certains Présidents Américains et la Mafia italo-américaine. Les révélations faites par l’auteur devraient interpeller ceux qui pensent que les partis politiques, les grands partis politiques sont la panacée.

Or les dispositions du code électoral révisé, du reste existantes depuis 2019, exigent que les candidats soient obligatoirement investis par des partis politiques ou membres de ces partis. Les réformes du système partisan ont l’ambition de réduire le nombre de partis à un maximum de cinq. L’inspiration de cette volonté vient justement du système américain, et nous voilà avec trois partis politiques représentés à l’Assemblée Nationale et qui seraient les uns à gauche, les autres au centre ou conservateurs.

L’obligation d’être investi ou d’être membre d’un parti politique pour se présenter à l’élection présidentielle enlève le droit d’éligibilité à l’immense majorité des citoyens Béninois en âge de voter. L’avantage perçu par les défenseurs de cette conception est très largement compensé par la tendance à l’appauvrissement de l’offre politique, la désaffection des électeurs, et la montée du populisme.

Cette situation existe déjà dans les démocraties occidentales. Le Bénin ne pourra pas éviter cet écueil  si le «tout partis politiques » s’impose comme la doctrine dominante. Du reste, des discussions que j’ai eues avec certains cadres Béninois, il résulte que beaucoup de citoyens sont de plus en plus indifférents aux questions politiques car ils considèrent que le Président Yayi Boni, chef de l’opposition, a montré ses limites au cours de ses deux mandats et que les jeux politiques actuels sont davantage des tactiques du pouvoir  pour se maintenir ou de l’opposition pour regagner le pouvoir politique. Ces citoyens penseraient que les tactiques politiciennes ne sont guère guidées par l’éthique. Dans ce contexte, ils considèreraient qu’il faudrait laisser les politiciens s’amuser à se tacler, la vraie vie étant ailleurs.

Cette tendance à la résignation est dangereuse à moyen terme. Il est impératif d’enrichir l’offre politique, de prévoir, à l’avenir, des dispositions permettant à des personnalités indépendantes de se présenter aux élections législatives et à l‘élection présidentielle. Ceci nécessiterait de revoir le mode de parrainage. Malgré les difficultés de sa mise en œuvre, le parrainage par les citoyens devrait faire partie des modalités de la flexibilité nécessaire à la respiration du système politique béninois. 

Ainsi, comme c’est déjà le cas au Sénégal, le parrainage par les députés, les maires ou les citoyens devrait être introduit au Bénin, permettant à des personnalités hors partis politiques de se présenter à l’élection présidentielle. L’achat des parrainages devrait être sévèrement sanctionné pour éviter ce qui préoccupe le Président Patrice Talon, à savoir, l’irruption de trafiquants richissimes dans la sphère politique béninoise.

Dans le cadre de l’Agenda40-45, j’avais proposé, pour le long terme, comme alternative au parrainage en vue de l’élection présidentielle, la présélection des candidats à la candidature par un vote électronique des électeurs avec un seuil de 20% dans chaque commune. Ce vote préliminaire se ferait sans campagne électorale, sur la base des programmes proposés par les candidats et de leur conformité avec les plans établis par les citoyens à la base.

Pour terminer avec cette première justification, j’affirme qu’il est urgent de trouver un compromis entre la volonté d’avoir de grands partis politiques, la nécessité de disposer d’une offre politique riche et diverse, et la résilience du système politique au risque de corruption par les groupes mafieux et terroristes dont l’emprise sur l’Afrique de l’Ouest est de plus en plus forte. L’appât du gain propre à l’affairisme, le délitement des contre-pouvoirs et la concentration des pouvoirs accroissent le risque de gangrène de la société par les groupes illicites. Seuls l’amélioration de la qualité des hommes, le contrôle social, la justice sociale et l’exigence de reddition des comptes  sont de nature à permettre à la société de résister à l’emprise des groupes illicites.

Une autre justification du nouveau code électoral est la nécessité d’avoir des partis politiques d’envergure nationale. Cette préoccupation est légitime mais les moyens utilisés pour y parvenir sont excessifs voire abusifs. Pour nous en convaincre, j’aimerais donner un exemple illustratif très simple. Supposons que le nombre d’électeurs soit de 3 millions répartis à parts égales entre quatre circonscriptions électorales. Supposons qu’il n’existe dans le pays que deux partis politiques. Les partis A et B.

À l’élection législative, le parti A obtient 81% des suffrages dans la circonscription 1, 80% dans la 2ème  et 20% dans chacune des circonscriptions 3 et 4 ;  le parti B obtient 19% dans la circonscription 1, 20%  dans la 2ème  et 80% dans chacune des circonscriptions  3 et  4. Au plan national, la différence des suffrages portés sur les partis A (50,25%) et B (49,75%) est de 0,5% du total exprimé.

Pourtant, avec le nouveau code électoral, le parti A aura 100% des députés et le parti B 0% simplement parce que dans la circonscription 1, B a obtenu 19% au lieu des 20% imposés par la loi. Ce code électoral contrevient gravement au principe éthique minimaliste d’égale considération accordée à chaque citoyen, au principe « un homme, une voix ». Les termes du débat sont donc d’ordre éthique et non forcément juridique, à moins que la loi fondamentale soit inspirée de l’éthique minimaliste et que les sages appelés à l’interpréter sont indépendants.

Pour bien vous représenter les enjeux d’ordre éthique,  supposez que les circonscriptions 1 et 2 soient dans le Sud du pays et les circonscriptions 3 et 4 dans le septentrion. Que diriez-vous aux électeurs du Nord qui se plaindraient que leurs votes n’ont pas été considérés et qu’ils ne sont donc pas représentés par des députés pour lesquels ils n’ont pas voté ?

Vous contenterez-vous de leur répondre que les députés représentent toute la Nation et qu’il est malsain de distinguer le Nord du Sud ? Mais alors ils vous répondront peut-être humblement que le Nord du pays est moins doté en infrastructures que le Sud et que les populations y sont plus pauvres. Ils ajouteront que ceux du Sud qui sont censés les représenter ne partagent pas le même quotidien qu’eux et que la Nation n’est pas une abstraction, qu’elle se construit progressivement dans la justice et le vivre ensemble.

Alors, en les prenant de haut, vous leur lancerez cette boutade : cessez de tenir des propos régionalistes, soyez nationalistes !

Mais cette injonction injuste n’y fera rien. Les deux partis politiques A et B ont le même profil infranational. Le fief politique du parti A est le Sud et le parti B a sa base politique dans le  Nord. Le parti A n’est pas plus d’envergure nationale que le parti B. Au lieu d’un processus progressif qui consoliderait la Nation, par maladresse, vous auriez inoculé dans le corps politique le virus de la violence régionaliste.

Ainsi, ce qui partait peut-être d’une bonne intention deviendrait contreproductif. Il s’agit bien entendu d’un exemple simpliste dont l’intérêt réside dans l’illustration du caractère abusif de ce dispositif électoral. J’ai joué sur l’effet de seuil bien connu (19% par rapport à 20%) pour mettre en évidence l’iniquité de cette contrainte. J’entends dire que le défi s’impose à tous les partis politiques, qu’ils disposent tous de deux ans pour le relever.  Mais adopte-t-on une loi sur la base d’un pari aussi risqué ? N’est-il pas vrai que la loi doit être applicable et juste ? Ne doit- elle pas faire l’objet d’une évaluation prévisionnelle d’impact avant d’être votée ? La précipitation n’est-elle pas, en la matière, mauvaise conseillère ?

Mes suggestions

Examinons à présent une autre option qui consisterait à ne pas tenir compte entièrement des suffrages obtenus dans une circonscription où le seuil des 20% n’est pas franchi et à répartir ces suffrages entre les partis politiques au prorata des minima. L’application de ce modèle conduirait à répartir les suffrages obtenus par B dans la circonscription 1 quasiment à égalité entre A (dont le minimum est 20%) et B (19%), ce qui attribuerait 53% des députés au parti A et 47% au parti B. Ainsi, le parti A bénéficierait d’un bonus de 3% et le parti B serait pénalisé par un malus de 3%, soit une différence de 6% au lieu des 100% confiscatoires. Cette façon de faire est moins brutale tout en faisant jouer le seuil de 20%.

Comme dit l’adage, « les chemins de l’enfer sont pavés de bonnes intentions ». Mais les actions les plus rusées peuvent se retourner contre leurs auteurs dans un effet bien connu, le boomerang. Si l’action politique n’est pas guidée par une éthique sociétale, si elle se limite à être prescriptive alors qu’elle devrait emporter l’adhésion de  toute la société,  alors elle est sujette à des soupçons de manipulations cyniques.

« Mon Dieu, gardez-moi de mes amis, mes ennemis, je m’en charge ! » s’était exclamé un sage des temps anciens. Il ne croyait pas si bien dire. Mais au Bénin, il ne devrait pas y avoir d’ennemis dans la sphère politique nationale. Hélas, en politique, les thuriféraires sont si nombreux dans les temps d’abondance puis ils s’évanouissent pour faire tristement place à la solitude des temps de vaches maigres et de turbulence. L’homme d’Etat soucieux de laisser une trace bienfaisante  dans la postérité se doit de se distancer de ses laudateurs et de la colère névrotique et leur préférer la pondération du jugement juste et altruiste.  

Edgard Gnansounou préside le Mouvement des Fédéralistes Sahélo-Guinéens, une association internationale qui promeut la fédéralisation des Etats de l’Afrique de l’Ouest.