Chronique radiophonique sur RFI du 16 mars 2024, publiée par A40-45 le 17 mars 2024

Chronique radiophonique sur RFI du 16 mars 2024, publiée par A40-45 le 17 mars 2024

Gilles Yabi, Président de WATHI – West Africa Think Tank

La prolifération des guerres en Afrique et ailleurs désespère l’esprit de paix

« Les conséquences de ce qui se déroule sous nos yeux à Gaza, par exemple, ne seront pas localisées. Les experts estimaient en janvier dernier, après trois mois de guerre, que l’armée israélienne avait déjà largué 45 000 missiles et bombes sur la bande de Gaza, dont le poids dépassait 65 000 tonnes, plus que l’équivalent de trois bombes nucléaires d’Hiroshima. Semer la colère, le désir de vengeance, la haine, dans un monde où les moyens technologiques de la violence extrême n’ont jamais été aussi dévastateurs, c’est l’assurance d’ajouter de nouvelles guerres aux actuelles, de réduire encore plus la taille des zones de paix et de sécurité dans le monde. Qui va pouvoir donner des leçons à d’autres ? Qui va demander le respect du droit international ? Qui est et qui sera encore légitime pour demander de la retenue et de l’humanité aux autres ? Qui pourra affirmer avec conviction que les politiques étrangères des pays démocratiques sont moins cyniques que celles des régimes autocratiques ? »

Vous avez récemment participé à un débat sur le thème : « Est-ce qu’on peut éviter la guerre ? », organisé par La Maison française de New York, un institut culturel logé au sein de l’Université de New York. Vous n’en êtes pas sorti particulièrement optimiste ?

Alors oui, c’est très difficile d’être optimiste lorsqu’on examine froidement les zones de guerre ouverte, les zones de conflit armé à moyenne intensité et qu’on y ajoute les pays dont certaines régions ne sont ni en guerre ni en paix depuis des années, voire des décennies. Le débat auquel j’ai participé était le troisième d’une série de trois conférences sur le thème général de la paix et de la guerre entre les nations, qui reprend le titre d’un essai du philosophe, sociologue et historien français Raymond Aron, publié en 1962.

Par rapport à la question : « Peut-on éviter la guerre ? », je me suis demandé s’il s’agissait d’éviter la guerre là où elle ne sévit pas encore, sur chacun des continents, ou s’il s’agissait d’éviter une troisième guerre mondiale, d’éviter en somme que la guerre ne touche pas directement les populations à niveau de revenu élevé qui se pensaient définitivement à l’abri du fait de la puissance technologique et militaire de leurs États ou de leurs alliés.

Vous rappelez que la guerre, les conflits armés dévastateurs et longs ne sont pas une nouveauté pour des millions de personnes, principalement dans le Moyen et l’Extrême-Orient et en Afrique au cours des quatre dernières décennies.

Tout à fait. Les conflits armés en Afrique aujourd’hui, et les autres formes d’insécurité qu’ils génèrent, sont de loin la principale raison de s’inquiéter pour les prochaines décennies. Nous avons une guerre dévastatrice accompagnée de crimes horribles au Soudan, troisième pays le plus vaste du continent avec sept pays voisins. Cela fera un an, le 15 avril prochain, que cette nouvelle tragédie soudanaise a commencé.

Nous avons une guerre dans l’est de la République démocratique du Congo, avec un niveau de tension extrême avec le Rwanda voisin. Avec désormais la mobilisation de moyens aériens. Des missiles sol-air mobiles sont de sortie du côté de l’armée rwandaise qui soutient les groupes armés rebelles, selon les enquêtes des Nations unies. La RDC, c’est le troisième pays le plus peuplé du continent et le deuxième le plus vaste, avec des frontières avec neuf pays. La paix n’est pas non plus durablement revenue en Éthiopie après une guerre civile meurtrière et accompagnée de crimes innommables entre 2020 et 2022. L’Éthiopie est le deuxième pays le plus peuplé du continent et a six pays voisins. Si on ne sort pas ces pays de la guerre et de la violence, on n’aura aucune chance de faire des incantations sur le futur heureux et triomphant de l’Afrique une réalité.

Selon vous, la question n’est pas de savoir si la guerre peut être évitée, mais plutôt de savoir si de nouvelles guerres, entre les pays riches et puissants, vont réduire ou plutôt augmenter les chances que s’aggravent et se multiplient les conflits armés en Afrique.

Oui, ce serait une grosse erreur de penser que chacun devrait s’occuper de ses guerres et se désintéresser de celles qui semblent être éloignées. Les conflits armés sont plus que jamais interconnectés, ne serait-ce que par le truchement de la circulation massive des moyens de la violence, et par la banalisation du recours aux armes sans aucune limite, sans aucune retenue.

Les conséquences de ce qui se déroule sous nos yeux à Gaza, par exemple, ne seront pas localisées. Les experts estimaient en janvier dernier, après trois mois de guerre, que l’armée israélienne avait déjà largué 45 000 missiles et bombes sur la bande de Gaza, dont le poids dépassait 65 000 tonnes, plus que l’équivalent de trois bombes nucléaires d’Hiroshima.

Semer la colère, le désir de vengeance, la haine, dans un monde où les moyens technologiques de la violence extrême n’ont jamais été aussi dévastateurs, c’est l’assurance d’ajouter de nouvelles guerres aux actuelles, de réduire encore plus la taille des zones de paix et de sécurité dans le monde. Qui va pouvoir donner des leçons à d’autres ? Qui va demander le respect du droit international ? Qui est et qui sera encore légitime pour demander de la retenue et de l’humanité aux autres ? Qui pourra affirmer avec conviction que les politiques étrangères des pays démocratiques sont moins cyniques que celles des régimes autocratiques?

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